Qui est libéral en France?
(extrait du "grand gaspillage" de Jacques Marseille p259

Les gaspillages sont parfaitement identifiés, connus des experts et du public et par tous ceux qui, au niveau gouvernemental, savent et veulent compter. Réduire de 15% le nombre des agents publics au sens large, en remplaçant deux départs en retraite sur trois, comme cela a été fait en Allemagne depuis 1989, et en permettant aux agents occupant des postes inutiles de partir contre le versement d'une indemnité confortable, permettrait de diminuer les dépenses publiques de près de 180 milliards de francs.

Suivre l'exemple de la Suède ou des Pays-Bas qui, au cours des dix dernières années, ont, d'une manière significative, contrôlé leurs dépenses maladie sans aucune dégradation de leurs indicateurs de santé, permettrait d'économiser encore 150 milliards de francs.

Mieux contrôler les subventions aux associations, les subventions d'équilibre aux entreprises publiques, les aides aux entreprises privées qui multiplient les effets d'aubaine sans aucune contre partie ni efficacité sur le niveau de l'emploi, maîtriser les dépenses de coopération internationale mal contrôlées et régulièrement détournées à des fins privées, réduiraient les gaspillages d'au moins 100 milliards supplémentaires.

Remplacer les incitations à l'inactivité par des incitations au travail, lutter énergiquement contre la fraude, qui semble particulièrement fréquente dans le cas des allocations de chômage (plusieurs études estiment que le niveau de fraude est situé entre 10 et 15% des dépenses) ou de la formation professionnelle, réexaminer le cas des prestations qui ne sont aucunement liées à l'existence d'un besoin réel, comme en particulier les aides personnalisées au logement (400 000 étudiants touchent l'allocation au taux maximum, quelle que soit l'aide qu'ils reçoivent par ailleurs de leur famille), seraient aussi la source d'une économie qui a été chiffrée à 100 milliards de francs.

Cela fait ainsi 530 milliards de francs pour ces seuls postes. Et il y en bien d'autres.....

Autant d'économies qui, il faut le rappeler avec insistance, seraient obtenues sans réduire la qualité d'aucun service rendu au public. Les seules dépenses que nous proposons de supprimer sont celles dont plusieurs évaluations ont démontré qu'elles faisaient double emploi ou qu'elles étaient devenues inutiles. Autant dire que l'objectif n'a rien de révolutionnaire.

Ce qui risque de l'être, en revanche, c'est de maintenir une situation où l'excès de la dépense publique ne fait qu'encourager les comportements prédateurs et creuser les écarts entre ceux qui ont accès à la « cagnotte » et ceux qui n'en ont pas pour leur argent. L'explication est purement mathématique. Dans une société où près de la moitié du revenu des ménages vient de la dépense publique, de nombreux groupes sociaux ont intérêt à consacrer l'essentiel de leur énergie à obtenir la plus grande part de ce revenu. Pour cela, le moyen le plus efficace est d'intimider la puissance publique. L'actualité sociale en est constamment la plus brillante démonstration. Augmenter son revenu par le travail ou par la prise de risque devient une activité peu rentable. En fait, tous ceux qui multiplient les grèves n'exagèrent pas. Ils se comportent au contraire en "libéraux rationnels" ayant compris que, dans une société où plus de la moitié du PIB est absorbée par la dépense publique, le meilleur moyen de s'enrichir est d'accroître à leur profit le prélèvement sur les contribuables. Aussi longtemps que les gouvernements leur donnent raison, chaque fois qu'une catégorie sociale obtient une part supplémentaire de la dépense publique, la rentabilité relative du travail devient plus faible et celle du chantage devient plus forte. En supposant même qu'il serait profitable pour tous de consacrer plus de temps au travail, aucun "homo economicus" n'aurait intérêt à faire ce choix, puisqu'il est plus rentable de se battre pour un revenu distribué par l'État plutôt que de créer une richesse dont la plus grande part sera prélevée par d'autres. En fait, dans notre société, les partisans de l'économie de marché ne sont pas là où on pense les trouver. Ils sont plutôt là où la «main invisible» du marché les incite à se trouver, c'est à dire dans la rue.

Certes, dans la mesure où le marché est aussi une jungle, la répartition des revenus qui résulte de ce chantage permanent est profondément défavorable à la cohésion sociale, puisqu'elle exige pour se maintenir une répétition régulière, presque rituelle, de conflits sociaux qui dressent les prédateurs contre les usagers. L'agitation constante, en France, des catégories sociales, les plus dépendantes de la dépense publique, salariés du secteur public, enseignants, professionnels de la santé, agriculteurs, ou encore artistes et personnels de la culture, est parfaitement "rationnelle" et s'inscrit dans une logique totalement "libérale". Elle ne s'explique pas autrement que par la nécessité de faire preuve régulièrement de leur pouvoir de nuisance pour préserver le montant de la part qui leur est attribuée.

Comme dans toute logique de « marché », ce mode de répartition du revenu oublie presque entièrement ceux qui ont réellement besoin de la solidarité de la collectivité. Les chômeurs sont les premiers à souffrir de l'excès de la dépense publique qui alourdit le coût des embauches et diminue le montant des ressources consacrées à l'emploi productif. De même, les quelque 4% de ménages français qui souffrent de grande pauvreté bénéficient moins de la dépense publique que les classes moyennes et aisées, mieux organisées et électoralement plus fortes. C'est ce qui nous a mené à proposer, chaque fois que c'est possible, de verser directement aux ménages un chèque culture, un chèque-formation professionnelle, un chèque-éducation, un chèque-santé, pour répartir plus équitablement la dépense publique et résister à la pression des intérêts particuliers. Un système qui, de surcroît, serait bien moins coûteux, en termes administratifs, dans la mesure où il mobiliserait incomparablement moins de personnels pour sa gestion. Un système surtout plus démocratique dans la mesure où il respecterait davantage la liberté et la responsabilité des bénéficiaires, sans permettre à l'État de se substituer, comme il aime tant à le faire, aux intérêts qu'il prétend soutenir.